Chateaubriand aime les choses : leur aspect, présence, allure, texture. Sans doute pourrait-on parler d’un « parti pris des choses », à la Francis Ponge, poète qui, de ce point de vue, lui ressemble un peu. La critique chateaubrianesque, on le sait, a tendance à privilégier les « grands sujets » : la politique, l’Histoire. Elle a donc laissé dans l’ombre les galets de la plage de Dieppe, les arbres et les fleurs, les chemises du chevalier, les babouches de Constantinople, les lits, portes et serrures de la chambre de Waldmünchen, les brins d’herbe qui attirent l’attention du voyageur et du mémorialiste et qui sont aussi, pour l’écrivain, une véritable matière première. Car si la littérature a pour vocation de dire le réel avec les mots, il importe de choisir les mots justes. Trop de mots tuent le réel ; quand il n’y en a pas assez, l’écrivain est condamné au silence. De là vient une tension récurrente dans l’analyse, et aussi sans doute dans les textes : l’objet anodin, la « petite chose » peut très facilement se muer en son contraire ; elle devient alors allégorie ou symbole, elle exprime le Sens. S’intéresser à Chateaubriand « chosiste », c’est donc à la fois laisser aux choses leur insignifiance, et les faire signifier, mission délicate dont s’acquittent avec brio les contributeurs au présent volume.
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