Là, sous la veste gros bleu de la maison de retraite et du pensionnat, ces grands enfants, ces vieillards avaries, présentaient des échantillons de toutes les mutilations et de toutes les puérilités. Certains, mal raccommodés, semblaient avoir sur le visage un masque, des moustaches postiches; d'autres, anguleux et ridés, se montraient, au contraire, inachevés, ébauches au couteau par un apprenti; et des profils nettement découpés recevaient, de l'éclairage et des temps, la patine d'anciennes médailles, d'une monnaie de gloire abolie, échue au musée. Leurs gestes étonnaient aussi, frileux ou cassés comme des gestes de marionnettes. Enfin, consommant l'illusion, quelques voix de crécelle sortaient de ces hommes de bois mis en mouvement par un ingénieux et secret mécanisme.Le repas, ce matin-là, excitait encore les rabâchages des grincheux mâchant à la fois la nourriture et les récriminations. Un invalide se curait les dents avec une aiguille à tricoter; des mains de fossoyeur, brunes, décharnées et poilues, enterraient dans le pain, pour la conserver, une portion de viande; une odeur de vieillesse et de mets refroidis emplissait la salle. Et l'éternel sujet de mécontentement s'y traîna de table en table.- Les portions diminuent tous les jours...- Sale bidoche!... On n'aura bientôt plus que des os à ronger.- Parbleu! Faut bien empâter les empoyés de l'Hôtel... et leur famille... On leur tolère ici la femme et les enfants... des quatre ou cinq par ménage...- C'est sur notre dû qu'on prélève leur subsistance, quoi! Pour eux le bouillon, à nous l'eau chaude.- On est pire que des conscrits.- Et ce vin!... Un poison...
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